Vous avez demandé la mémoire de l'Elysée : erreur 404

Publié à 09h41, le 19 décembre 2012 , Modifié à 11h27, le 19 décembre 2012

Vous avez demandé la mémoire de l'Elysée : erreur 404
Capture d'écran du site internet archivé, appelé à disparaître de Elysée.fr version Nicolas Sarkozy

FILE NOT FOUND - Le lancement du nouveau site internet de l'Elysée, lundi 16 décembre, souligne une particularité toute française et élyséenne : le site internet de la présidence de la République n'a aucune mémoire.

Ainsi les contenus créés par l'Elysée de Nicolas Sarkozy s'apprêtent-ils à devenir inaccessibles au grand public et, pour y accéder, comme le dit un de ses gardiens au Lab, il faudra "montrer patte blanche".

  1. Le site du président, plus que le site de la présidence

    On nous l'a dit et répété : la principale caractéristique du nouveau site internet de l'Elysée, lancé le 16 décembre, en plus d'être low-cost et made in France, est de jouer la carte de l'entrée "temps" et de la chronologie.

    Ainsi, sur le site, le principal fil de navigation est-il celui d'une timeline horizontale, qui permet de naviguer dans l'actualité de François Hollande par son agenda - du moins, sa partie publique :

    Cette chronologie a toutefois quelque chose d'un peu particulier : elle débute très précisément le 15 mai 2012

    Soit, le jour de la cérémonie d'investiture de François Hollande :

    Avant ? Avant, c’est simple : il ne s'est rien passé

    Nicolas Sarkozy ? Jacques Chirac ? N'espérez pas retrouver le moindre verbatim de discours prononcé, ni la moindre photo, ni une quelconque vidéo de réception : tous ces contenus ont disparu, et les URL qui proposaient précédemment ces contenus affichent désormais de très frustrantes "erreurs 404".

    Voici quelques exemples :

    - Aucun contenu vidéo ou photo ne comporte une quelconque occurrence de Nicolas Sarkozy,

     - Les 25 contenus textes qui le référencent sont ... des mentions dans des discours de François Hollande, au-delà de quelques pages très générales sur l'histoire politique françaises.

     - Les liens vers les adresses précises des anciens contenus pointent vers des erreurs de type : "page inconnue". Exemple type : cette page, qui contenait le discours d'investiture de Nicolas Sarkozy, pointe ici vers une 404.

    Résultat : elysee.fr est actuellement un site dont 99% des contenus sont consacrés à l'homme qui occupe les lieux, et non à l'institution. 

    Cette pratique pose une définition plutôt inattendue du site internet de l'Elysée, comme tout entier consacré à l'actualité du locataire des lieux, vivant dans un présent permanent.

    Et fait des équipes web de l'Elysée des Sisyphe, condamnés à alimenter, à chaque changement de locataire des lieux, le site en contenus dédiés au récit de l'aventure élyséenne de leur patron, hors de toute notion de continuité de l'Etat.

    Ce que les actuelles équipes web de l'Elysée, interrogées par Le Lab, assument totalement : le site web de l'Elysée est celui du président plus que de la présidence, expliquent-ils en substance.

    Les équipes web de François Hollande, qui avaient engagé la manoeuvre  dès le 15 mai, ne sont pas les premières à agir ainsi.

     (Le site internet de l'Elysée, en 1998, merci archive.org)

    De mémoire - humaine, donc faillible - sollicitée par Le Lab auprès des acteurs alors concernés, la même opération s'était produite, à moindre échelle, sous l'Elysée version Nicolas Sarkozy.

    Les contenus produits par les équipes de Jacques Chirac, un temps restés accessibles via un lien d'archives présent sur la v1 du site de l’Elysée version Sarkozy, avant de disparaître totalement lors du lancement de sa v2, en 2010.

    Alors, où est partie la chronique du quinquennat sarkozyste, telle que lui-même, accompagné de ses équipes, a souhaité en rendre compte sur l'outil de communication qu'est elysée.fr ?

    Première réponse : ils dorment chez un prestataire 

    Nexint, une société française qui était le précédent prestataire des équipes de l'Elysée, en a évidemment une copie dans la base informatique générée par l'outil de publication qui équipait le site de l'Elysée made in Sarkozy.

    Une version publique de cette base existe pour l'instant, sur www.archives.elysee.fr, mais est appelée à disparaître très prochainement, expliquent au Lab les équipes de l'Elysée.

    L'équipe web actuelle de l'Elysée, qui, même lors de la conférence de présentation publique du nouveau site, n'a pas de mots assez durs pour critiquer le coût de la prestation opérée par Nexint (qui n'a pas souhaité répondre à nos nombreux appels), assure que le simple maintien en ligne de ces archives, avec les coûts d'hébergement afférents, grèverait lourdement le budget de fonctionnement de la cellule web.

    A date, aucun export, aucune intégration au nouvel outil de publication déployé par l'Elysée, n'est donc prévu.

    Parallèlement à la définition d'un site du président plus que de la présidence, les intervenants actuels de l'Elysée soulignent fréquemment les obstacles techniques nés du travail dans un outil de publication propriétaire et non-interopérable - Elysee.fr version Sarkozy.

    Comme si ces difficultées étaient davantage responsables de la disparition des archives plus qu'une réflexion mémorielle.

    Quoiqu'il en soit, amis archivistes, factcheckeurs de tout poil, ou simples citoyens curieux, si vous voulez tout conserver des contenus de l'Elysée made in Sarkozy, vite, dépêchez-vous d'aspirer www.archives.elysee.fr (on vous fait confiance pour trouver les outils, même si ce n'est pas très légal).

    Deuxième réponse : ils dorment à la BnF, à l'abri des regards indiscrets

    Le Lab a trouvé une institution qui accorde aux archives des contenus de l'Elysée une importance et une valeur historique un peu plus forte : la Bibliothèque nationale de France

    Dans le cadre de sa mission de dépôt légal d'internet, l'institution procède ainsi à un archivage régulier de sites internets, et "le site internet de l'Elysée est effectivement un peu plus archivé que d'autres", raconte Clément Oury, le chef du service du dépôt légal numérique à la BnF, contacté par Le Lab.

    Et le bibliothécaire de contextualiser l'importance de ce travail de mémoire : 

    "

    Cet enjeu était encore relativement limité lors de la présidence Chirac, dont les archives internet ont surtout une valeur pour "l'histoire d'internet".

    Il prend évidemment une importance beaucoup plus forte sous la présidence de Nicolas Sarkozy, marquée par une explosion de la communication en ligne.

    "

    Concrètement : des robots crawlent régulièrement les pages du site internet de l'Elysée - jusqu'à plusieurs fois par jour lors de la présidentielle, explique Clément Oury.

    Et en produisent une sauvegarde "en local" (comprenez : en dur), qui permet même une navigation à peu près en situation réelle - vous pouvez sauter d'une page à l'autre.

    Fin de l'histoire ? Pas tout à fait

    Car n'espérez surtout pas pouvoir consulter ces archives en ligne. 

    La BNF stocke précieusement ces données en local, sur un réseau qui est uniquement accessible depuis une centaine de poste, situés dans les espaces du site de la BNF François Mitterrand, à Paris, accessibles aux seuls chercheurs.

    "

    L'accès est très réglementé, pour des raisons de propriété intellectuelle et des questions de données personnelles.

    Il ne se fait que dans les espaces de consultation de la BnF, dans un espace réservé aux chercheurs.

    "

    Très bien, mais si l'on n'est pas chercheur ? 

    "

    Il faut montrer patte blanche !

    Montrer que vous avez vocation à consulter ces contenus.

    "

    En attendant, et de manière temporaire, vous pouvez toujours faire un petit coup de "cache", cette fonction de Google qui permet de retrouver l'archive d'une page web - revoici par exemple le discours d'investiture de Nicolas Sarkozy.

    Mais il vous faut disposer de l'URL précise que vous recherchez, et l'Elysée externalise ainsi la fonction mémoire à Google, contre lequel il tape pourtant du poing sur la table, en ce moment ...

    Non, trois fois non, rien de plus simple n'a, à ce jour, été prévu

    Pendant ce temps, l'Assemblée nationale dispose d'un site dédié aux archives : http://archives.assemblee-nationale.fr/

    Et, aux Etats-Unis, si vous voulez retrouver le site internet de la présidence de George Bush, là aussi, une URL toute simple vous conduit vers une version "gelée" du site datant de janvier 2009 : http://georgewbush-whitehouse.archives.gov/

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