Webcampagne : quand les vidéos militantes coûtent cher aux partis

Publié à 18h41, le 24 avril 2012 , Modifié à 12h15, le 25 avril 2012

Webcampagne : quand les vidéos militantes coûtent cher aux partis
Trois vidéos qui ont marqué la campagne (Montage)

La participation des militants est toujours pavée de bonnes intentions … Mais peut se révéler compliquée pour les trésoriers de partis.

Obligation de la mentionner dans les comptes de campagne, rémunération attendue par les militants mais non prévue par les états-majors, voire sens politique qui échappe aux stratèges: la campagne 2012 a soulevé plusieurs inconnues.

François Hollande, Eva Joly, François Bayrou : Le Lab revient sur trois affaires qui pourraient faire jurisprudence, et dans lesquelles les candidats se sont pris les pieds dans le participatif.

  1. Le travail militant s'infiltre dans les comptes de campagne

    Sur le web, chacun peut y aller de sa contribution : commentaires, photos et vidéos de soutien sont diffusés sans limite, échappant apriori au radar de la Commission de contrôle de la campagne.

    Apriori. Car dans certains cas, les clips de militants sont réalisés par des professionnels dont le travail fait économiser des milliers d’euros aux candidats. Rien de plus normal qu’un militantisme bénévole – même réalisé par des pro – rétorqueront certains. Mais en faisant ainsi le tour de la toile, ce soutien hors-norme aide le candidat sans intégrer les comptes de campagne.

    Et ça, la Commission ne l’autorise pas, comme elle l'expliquait, dès le mois de décembre, sollicitée par europe1.fr :

    Si les vidéos militantes sont d’une "exceptionnelle qualité", elles seront à inscrire dans les comptes de campagne, comme un concours en nature.

    La question se pose au PS avec l’initiative du collectif 2H12CREW. Réalisatrice professionnelle, artistes, caméramans … Le groupe a produit deux clips de soutien à François Hollande. Le premier le met en scène lors de sa visite en banlieues - il a été vu plus de 200 000 fois - et le second est un appel au vote socialiste: "Le 22 avril, faut pas s’rater". 

    Comme l’a expliqué au Lab son producteur, Bruno Laforestrie, le projet s’est monté avec l’accord de François Hollande, qui a adhéré à cette initiative "jeune" et "hip-hop". L’équipe a été accréditée pour suivre le candidat dans certains déplacements, son compte twitter a même mis la vidéo en avant :

    Je vous invite à regarder la seconde vidéo du "2H12 Crew" qui m'avait suivi lors de mes 48 heures en banlieues: youtube.com/watch?v=MQqItM…#FH2012

    — François Hollande (@fhollande) Avril 19, 2012

    Et c’est là que la Commission des comptes de campagne risque de devenir tatillonne. En plus d’être d’une « exceptionnelle qualité », le clip doit être connu du candidat et avoir obtenu son accord. La production de 2H12CREW correspond exactement à ce cas de figure… Pourtant, lorsque Le Lab a contacté l’équipe PS en charge du numérique, la réponse était très évasive.  Première réaction : ces vidéos n’ont pas un statut différent des autres travaux militants :

    Vous savez, si on doit penser qu’il y a accord à chaque fois que François Hollande rencontre quelqu’un … 

    Après ce moment de flottement, Vincent Feltesse, à la tête de la web campagne, nous confirmera finalement que ces clips seront intégrés aux comptes de campagne "pour quelques milliers d’euros" et par  "précaution".

    L’épisode pourrait paraitre anecdotique, mais si les vidéos de ce type se multiplient, ce sont des dizaines de milliers d’euros qui devront s’ajouter aux comptes de campagne. Lorsqu’on frôle le plafond de dépenses de campagne autorisé, comme le PS, ces contributions peuvent devenir gênantes.

  2. "Tout travail mérite récompense"

    Le travail militant est rarement encadré par des contrats en bonne et due forme. Et lorsque les désaccords apparaissent, c’est parole contre parole.  

    Chez Europe Ecologie Les Verts, après des soucis de droits musicaux, une nouvelle chanson pose problème : il s’agit de "Eva", composée et interprétée par le groupe encore peu connu Voice Link. Le titre a été utilisé en ouverture de différents meetings et apposé au clip de campagne "Je vote Eva" tourné lors du rassemblement de Roubaix :

    Aujourd’hui, les artistes et le parti ne s’entendent plus sur l’accord tacite passé en janvier et en donnent deux versions différentes. Pour le groupe - constitué du compositeur Raul Colosimo et de la chanteuse Merle-Anne Prins Jorge - la chanson a été proposée après un appel d’offre. En janvier 2012, EELV a besoin d’un hymne de campagne, les artistes font donc une proposition :

    On a stipulé par mail le besoin de rémunération pour la composition et les musiciens. On est tombé d’accord pour participer à différents meetings, chanter sur scène et percevoir un cachet.

    Au final, ils ont bien utilisé notre chanson … Mais sans répondre à nos mails, sans rien nous verser et sans nous inviter aux meetings ! C’est du mépris.

    L’utilisation de leur chanson est aussi source de déception pour Voice Link, notamment à cause d'une mauvaise mise en avant :

    Personne ne voit que nous sommes les auteurs, nous ne sommes pas cités. A la fin du clip, nos noms apparaissent... Mais on a l'impression que nous sommes les réalisateurs de la vidéo !

    Le titre de la chanson aurait également été modifié sans leur accord. Le groupe dit ne pas vouloir "faire du tort à Eva Joly", mais attend aujourd’hui d’être payé car "tout travail mérite récompense". 

    Du côté d’EELV, on ne voit pas bien où est le problème. Alexis Braud, qui gère l’événementiel, assure qu’il s’agit d’une chanson militante, faite par des militants, dans le cadre d’une participation militante:

    La gratuité était fixée dès le départ, on a fait ça en toute transparence. Nous connaissons bien les deux artistes, ils sont adhérents du parti et étaient très enthousiastes à l’idée de participer à la campagne.

    On leur a payé le studio d’enregistrement, pour le reste c’était un acte militant bénévole.

    D’après Voice Link – qui précise "ne pas du tout"être encarté chez EELV – le désaccord va devoir se porter sur le terrain judiciaire, en l’absence de réponse satisfaisante du parti. Entre les "frais engagés" et "l’atteinte au droit moral", le groupe pourrait demander jusqu’à 55 000 euros.

  3. Le bad buzz du Modem avec sa nouvelle Marseillaise pour Bayrou

    Sur dailymotion.com

    C'est l’histoire d'une Marseillaise revisitée, que son auteur, le chanteur Guito B Joseph, chante, de meeting politique parisien en meeting politique parisien. Guitare sous le bras, accompagné d’un caméraman, façon happening.

    Revisitée, car les paroles de l’hymne national ont été revues et corrigées dans un sens nettement plus pacifistes : "Plus d'armes, citoyens / Rompez vos bataillons"

    Ecoutez plutôt :

    Le 25 mars, lors du meeting de François Bayrou au Zénith de Paris, Guito se faufile.

    Capte l’attention de la "tête brûlée des Pyrénées" (copyright) le député Modem Jean Lassalle, lui entonne l’air.

    Le contact passe bien, et le proche de François Bayrou apprécie manifestement le texte, au point de lui donner sa carte de visite :

    La scène se déroule à partir de 1'43 sur la vidéo ci-dessous :

    Un militant Modem, Simon Gléonec, qui participe à ce meeting en temps que "volontaire" capte la scène avec sa caméra.

    Dans les heures qui suivent,  il demande à Guito B, le droit d’utiliser sa composition. Le chanteur la lui accorde, lui envoie même une version de meilleure qualité de la chanson.

    Quatre jours plus tard, le 29 dans la matinée, cette vidéo, bande-son de Guito B Joseph et images de Simon Gléonec, est postée sur le compte Dailymotion de François Bayrou.

    Voici ce contenu :

    Succès immédiat, et embarquement instantané sur les sites de plusieurs médias – dont europe1.fr.

    Problème ?

    Les sites internet d’infos ne reprennent pas ex abrupto. Ils décryptent … et soulignent à l’image de La Voix du Nord, que "François Bayrou lance une nouvelle version de la Marseillaise".

    Aussitôt, c’est la panique à bord, au sein de la cellule web du MoDem.

    Et Marielle de Sarnez, la directrice de la campagne, qui ne veut surtout pas laisser croire que François Bayrou conteste l’hymne français, leur tape sur les doigts.

    Conséquences en cascade : une dépublication du compte officiel de François Bayrou trèsremarquée, un nouvel upload sur le compte du militant en question, la nécessité de publier un long billet de blog racontant la scène, de nombreux coups de fil de journalistes, une interpellation sur le plateau du Grand Journal

    Bref, rien de catastrophique, mais un bad buzz en beauté, dont la gestion prend du précieux temps en période de campagne.

Du rab sur le Lab

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