Après Nice et face à la droite, Jean-Jacques Urvoas publie une tribune en défense de l'État de droit

Publié à 09h06, le 22 juillet 2016 , Modifié à 09h10, le 22 juillet 2016

Après Nice et face à la droite, Jean-Jacques Urvoas publie une tribune en défense de l'État de droit
Jean-Jacques Urvoas © THOMAS SAMSON / AFP

ÉTAT DE DROIT MON AMOUR - Jean-Jacques Urvoas n'est certainement pas le plus médiatique des ministres de ce gouvernement. Il s'exprime avec parcimonie sur les plateaux télé et radio et lorsqu'il le fait, il est généralement question de choses sérieuses. À l'occasion, il reste toutefois capable de dégainer quelque formule assassine contre ses adversaires politiques. Mais depuis l'attentat de Nice, le 14 juillet, vous l'avez sans doute assez peu vu et entendu.

Il est certes intervenu pour dire sa "honte" devant les sifflets et insultes qui ont visé Manuel Valls, sur la Promenade des Anglais, lors de l'hommage aux victimes. Mais pas beaucoup plus. Ce vendredi 22 juillet, au terme d'une semaine où le débat politique s'est régulièrement égaré, le garde des Sceaux reprend la parole. Dans les pages de Libération, l'ancien président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale publie une tribune pour s'élever contre les tentations d'une partie de la droite républicaine de piétiner l'État de droit et la Constitution au nom de la lutte contre le terrorisme.

Il revient d'abord sur la teneur de la discussion sur la prorogation de l'état d'urgence, dans l'hémicycle mardi 19 juillet :

 

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Je n’ai pas aimé les débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale durant la nuit de mardi à mercredi dernier. Pour la première fois depuis que j’ai pénétré dans cet hémicycle en 2007, je m’y suis senti mal à l’aise. Il m’a semblé qu’un point de bascule s’y était produit, une limite venait d’être franchie, que quelque chose venait de rompre.

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Certes, il reconnaît que les "attaques outrancières" sont monnaie courante dans le jeu politique et parlementaire, tout particulièrement lors des débats à l'Assemblée retransmis en direct à la télévision. Mais "cette nuit-là fut différente", écrit-il. Car ce 19 juillet, Éric Ciotti ou Laurent Wauquiez (LR) prônaient des mesures attentatoires aux règles constitutionnelles qui régissent notre vie démocratique. Jean-Jacques Urvoas s'en indigne :

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Pour la première fois, c’est le cadre même de nos débats qui a été moqué. Ce sont les fondements de notre vie publique qui ont été méprisés, les règles qui garantissent la paix publique qui ont été contestées. Ainsi cherchant à réfuter avec rigueur des amendements déposés par l’opposition, j’ai été confronté à une franche, déterminée et sourde hostilité. Voulant expliquer qu’à mes yeux, les propositions avancées étaient manifestement entachées d’inconstitutionnalité, une puissante bronca s’est immédiatement élevée dans les rangs des députés conservateurs qui grondèrent avec colère 'et alors ?'.



Spontanément, venus de nombreux bancs, les mêmes mots étaient rageusement choisis pour contester la force jusque-là partagée de la norme constitutionnelle. [...] Les bornes du droit que j’avançais étaient ainsi systématiquement, presque brutalement, rejetées comme illégitimes. 

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Il leur adresse cette réponse :

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Résister, ce n’est pas se renier. C’est au contraire, dans l’épreuve, réaffirmer avec force à la face du monde que nous ne consentirons jamais, quelles que soient les circonstances, à brader les principes intangibles qui fondent notre système démocratique.

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Se faisant philosophe, il identifie les racines de cette démarche intellectuelle de la droite dans la croyance en la supériorité de la "force" sur le "droit" (ce qui n'est pas très républicain). Or, "de tels expédients ne font honneur ni à ceux qui proposent d’y recourir, ni aux peuples qui accepteraient de les tolérer", juge-t-il. Sa conclusion est autant un rappel de ces bases de notre cadre démocratique qu'une alerte contre les effets pervers de la volonté de s'en affranchir :

 

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Dans une démocratie moderne [...], c’est la hiérarchie des normes juridiques qui garantit la protection des citoyens. Les décideurs ne peuvent agir qu’en conformité avec ces normes afin d’éviter que le bon plaisir des uns ou les peurs des autres remplacent l’autorité de la loi. Faire de l’arbitraire un guide pour l’action, c’est omettre qu’il s’agit d’une arme dont le grand nombre de tranchants coupera fatalement les doigts de ceux qui la manient. L’État de droit et la démocratie, les fondements même de la République, voilà ce que veulent abattre les terroristes. La responsabilité politique face à cette pression, c’est de maintenir coûte que coûte ce précieux bien commun, la racine même du vivre ensemble.



[...] Aujourd’hui comme hier, ne cédons pas sur nos valeurs, ne cédons pas sur l’État de droit, ne cédons pas sur la République.

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