"Arguties juridiques" : Sarkozy assure ne pas vouloir "remettre en cause l'État de droit" pour autant

Publié à 09h53, le 27 juillet 2016 , Modifié à 09h06, le 28 juillet 2016

"Arguties juridiques" : Sarkozy assure ne pas vouloir "remettre en cause l'État de droit" pour autant
Nicolas Sarkozy © AFP

NON MAIS EN FAIT OUI - Le sujet a dépassé le cadre des sorties fracassantes de certains députés LR enflammés par le débat sur la prorogation de l'état d'urgence. La question du respect ou non des limites de l'État de droit pour mener la "guerre contre le terrorisme" a été posée solennellement par Nicolas Sarkozy, mardi 26 juillet après l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray. Mais s'il exige du gouvernement l'application de mesures qui iraient manifestement à l'encontre de certains principes de droit fondamentaux, l'ancien Président assure dans le même temps ne pas vouloir "remettre en cause" l'État de droit.

Mardi, depuis le siège de Les Républicains, l'ancien chef de l'État réagissait à l'assassinat du père Jacques Hamel dans son église par un "soldat de l'État islamique", selon les termes employés par l'organisation terroriste dans son communiqué de revendication de l'attentat. Il a alors affirmé :

 

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Cette situation doit nous conduire à la plus grande lucidité et à enfin comprendre que nous devons changer profondément la dimension, la mesure, la stratégie de notre riposte. [...] Les arguties juridiques, les précautions, les prétextes à une action incomplète ne sont pas admissibles.

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Par "arguties juridiques", il faut ici identifier certaines dispositions de la Constitution de la Ve République, la Convention européenne des droits de l'homme, quelques libertés fondamentales ou encore une jurisprudence récente du Conseil d'État (voir plus loin). Ce qui peut se résumer par l'expression "État de droit". Nicolas Sarkozy, lui, y voit autant de freins à la lutte contre le terrorisme, dans la droite ligne des députés sarkozystes Éric Ciotti, Laurent Wauquiez ou David Douillet.

Ce mercredi dans une interview au Monde, le président de LR est interrogé sur cette "remise en cause de l’État de droit pour lutter contre le terrorisme", voulue par certains de ses lieutenants. Il réfute alors défendre cette ligne, assurant vouloir "adapter" ce cadre juridique à la "situation exceptionnelle qui a vocation à durer" :

 

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Adapter l’État de droit ne veut pas dire le remettre en cause. Nous ne pouvons rester dans le cadre actuel face à une situation exceptionnelle qui a vocation à durer.

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Et de prôner une série de mesures : "l'expulsion immédiate [de] tout étranger condamné pour terrorisme", "l’assignation à résidence [des individus fichés S] avec un bracelet électronique ou, pour les plus dangereux, le placement dans un centre fermé" (un "Guantanamo à la française", donc) ou le placement "en détention provisoire" de "toutes les personnes qui sont aujourd’hui sous contrôle judiciaire pour des faits de terrorisme".

La seconde de ces mesures - interner en "centre fermé" des individus soupçonnés et non condamnés - s'apparente à de la détention arbitraire, comme l'avait rappelé le Conseil d'État en décembre 2015, saisi de cette question par le gouvernement (soucieux, alors, de faire un geste en direction de l'opposition en étudiant cette proposition). À la question "la loi peut-elle autoriser une privation de liberté des intéressés à titre préventif et prévoir leur rétention dans des centres prévus à cet effet ?", la plus haute juridiction administrative du pays avait répondu :

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Il n’est pas possible d’autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans des centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées.

 

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Inapplicable au regard de la loi, cette mesure franchit donc la limite de l'État de droit. L'assignation à résidence avec bracelet électronique est toutefois possible sous certaines conditions. C'était d'ailleurs le cas du tueur de Saint-Étienne-du-Rouvray.

La troisième idée évoquée par Nicolas Sarkozy - "détention provisoire" pour les terroristes sous contrôle judiciaire" - reviendrait elle aussi, comme le lui fait remarquer Le Monde, à une "remise en cause de la présomption d'innocence". Ce à quoi il répond, en substance, que ce principe fondamental de notre système judiciaire ne devrait pas être appliqué aux djihadistes présumés. Il dit en effet :

 

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Notre système doit protéger les victimes potentielles plutôt que les auteurs probables d’un futur attentat. Il y a dans cette guerre que nous engageons, les innocents, les coupables et une zone grise, avec ceux qui ne sont pas encore passés à l’acte.



Peut-être qu’ils ne le feront pas, mais nous considérons que c’est déjà un délit d’être en contact régulier avec des milieux djihadistes. Cette évolution intellectuelle vient d’une conviction : si les démocraties ne défendent pas les citoyens, les citoyens se défieront de la démocratie.

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Créer une sorte de présomption de culpabilité pour ceux qui se trouvent dans cette "zone grise", voilà qui *règle* en effet le problème... En attendant, Nicolas Sarkozy assure ne pas vouloir "remettre en cause" l'État de droit tout en défendant vigoureusement des mesures contraires à ce dernier. D'autres solutions qu'il avance sont quant à elles, au choix, déjà applicables (la fermeture de lieux de culte par décision des préfets) ou en cours d'application (l'ouverture de centres de déradicalisation) ou de test (l'isolement des détenus radicalisés), comme l'avaient souligné Les Décodeurs du Monde.





[BONUS TRACK] Anticonstitutionnel, inefficace et démago

Malheureusement pour Nicolas Sarkozy, il n'est pas (plus) président de la République. L'exécutif, Manuel Valls et François Hollande en tête, ont de leur côté adressé de multiples fins de non-recevoir à ces positions du chef de l'opposition, refusant de "changer le droit" et de transiger sur la question du cadre démocratique. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve en rajoute une couche à ce sujet, ce mercredi sur Europe 1.

Reprenant le lexique de son lointain prédécesseur place Beauvau, le ministre de l'Intérieur flingue son propos :

 

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Il ne s'agit pas d'arguties juridiques. Un ancien président de la République ne peut pas dire que le respect de la Constitution [...], que le respect des principes républicains est une argutie juridique, non, c'est un devoir moral. [...] La mise en rétention de ceux qui sont fichés S serait anticonstitutionnelle. Il faudrait pour cela faire une réforme de la constitution ce qui nous ferait sortir de l’État de droit.

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Il ajoute que cela serait surtout "totalement inefficace" :

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Ce qui permet à la France aujourd’hui, même s’il y a des attentats, de démanteler un certain nombre de réseaux terroristes (nous avons évité 16 attentats, nous avons arrêté près de 180 personnes depuis le début de l’année), c’est la mise en attention par les fiches S d’un certain nombre d’individus qui permet aux services de renseignement de travailler sans que les individus le sachent, de démanteler les filières et de mettre hors d’état de nuire après les avoir judiciarisés ces individus. Et nous avons énormément incarcéré après avoir judiciarisé au cours des derniers mois.



Si vous dites aux individus qui ne savent pas qu’ils sont surveillés qu’ils le sont, ils se dissimuleront et nous aurons à la fin plus d’attentats et moins de résultats. Donc ces idées qui parlent aux Français en apparence, par la convocation de la démagogie, sont contraires à l’État de droit et sont en matière de lutte antiterroriste, je le redoute, inefficaces. Il faut que nous évitions tout ce qui peut plaire et relève de la démagogie et que nous restions attachés au principe et à la volonté d’être ensemble et efficaces avec l’opposition. Il ne suffit pas d’avoir les yeux rivés sur l’échéance électorale.

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S'exprimant à la sortie du conseil des ministres, il a poursuivi dans la même veine :

 

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Nous ne pouvons pas sortir de l'État de droit pour protéger l'État de droit. Si nous sortons des principes républicains [...], alors nous aurons consacré la victoire des terroristes.

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"Tout ce qui devait être fait dans le cadre de l'État de droit l'a été en grande partie. Il peut y avoir encore des évolutions [...] et des propositions de l'opposition qui peuvent être prises en compte, et c'est le souhait aussi du président de la République de faire en sorte que dans l'unité nationale, nous puissions poursuivre le dialogue avec tous les acteurs parlementaires pour pouvoir améliorer encore le dispositif", a-t-il toutefois tenu à préciser.

[Edit 13h : ajout déclarations Cazeneuve post-conseil des ministres]

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