Comment les députés peuvent-ils modifier les comptes-rendus de séance à l’Assemblée ?

Publié à 11h44, le 16 février 2013 , Modifié à 11h59, le 16 février 2013

Comment les députés peuvent-ils modifier les comptes-rendus de séance à l’Assemblée ?

De l'Hémicycle jusqu'au Journal Officiel, le chemin des comptes-rendus des débats  à l'Assemblée nationale est long.

Leur rédaction, assurée par un service de près de 30 personnes, ne se limite pas à un simple travail de scribe. Mais surtout, députés comme ministères peuvent intervenir dans le processus. Explications avec Nicolas Véron, le directeur du service de rédaction du compte-rendu de la séance.

  1. Le délicat travail de rédaction de comptes-rendus de séance à l'Assemblée

    Assis à côté du perchoir de Claude Bartolone, Nicolas Véron surplombe l'Hémicycle. Attentif, ce grand barbu ne manque pas un des échanges entre députés en ce jour de vote du projet de loi sur le mariage homosexuel. L’ambiance est électrique. Nicolas Véron, lui, reste concentré. Et prend quelques notes.

    A 57 ans, le directeur du service du compte-rendu de la séance est un acteur discret mais néanmoins connu à l'Assemblée nationale. Arrivé sur concours en 1981, après des études en sciences politiques puis en langues et civilisations, et deux années de travail à la documentation française, il n’a jamais voulu se lancer dans une carrière politique. Mais se serait bien vu "cadre d’Orient" au secrétariat des Affaires étrangères.

    (Dans l'Hémicycle, Nicolas Véron est à gauche de Claude Bartolone, légèrement en contrebas du perchoir, alors que les rédacteurs du service sont au pied de la tribune. Photo MaxPPP).

    Aujourd’hui, Nicolas Véron concède sa satisfaction de se retrouver "en première ligne". C'est lui qui valide la retranscription des échanges ensuite publiée au Journal Officiel. Dans cette tâche, il est accompagné de 5 adjoints et 21 rédacteurs. Justement, en contrebas du perchoir, ces derniers se relaient tous les quarts d'heure pour prendre en note l'intégralité des débats. Il s’amuse :

    La rotation s'effectue souvent à la fin d'une intervention ou d'une phrase, mais certaines sont interminables...

    Une fois sorti de l'Assemblée, chaque rédacteur dispose au maximum de 4h15, jusqu'au prochain roulement, pour écrire son compte-rendu de 15 minutes d’échanges. C’est pour cela que le service est organisé afin que deux tiers des effectifs soient toujours présents lors des débats, même si elles durent parfois jusque très tard dans la nuit. Lunettes vissées sur le nez, Nicolas Véron détaille :

    Puisque la présence est obligatoire jusqu'à la fin de la dernière séance, on ménage une soirée sur trois.

    Pour leur retranscription, les rédacteurs disposent aussi des enregistrements sonores de deux sources différentes, en cas de dysfonctionnement d'un micro, avec la vidéo. Un outil devenu indispensable.

    Lorsque Bartolone a dit "abrutis" le 12 février, on n’a rien entendu dans la salle, c’est typiquement la preuve que l’on ne peut pas tout voir ni entendre.

    Le travail de sténographie est donc beaucoup moins important que quelques années plus tôt, se souvient celui qui est directeur du service depuis 2011.

    Nous utilisions parfois discrètement un petit magnétophone artisanal.

    Mais le travail de rédacteur ne résume pas à celui d'un scribe. Plus que les simples prises de parole dont ils rectifient d'ailleurs la syntaxe, c'est l'atmosphère des débats dont ils doivent rendre compte. "La physionomie", dixit Nicolas Véron. "Est-ce calme ou agité ?"

    Une concentration maximale pendant les incidents

    Les rédacteurs de comptes-rendus de séances, sortis d’études de droit, d’économie, d’histoire ou de littérature, ajoutent les actes : si des députés applaudissent, s'ils sont debout, et bien sûr, les interruptions. "Elles sont théoriquement interdites, mais font partie intégrante du débat", justifie Nicolas Véron. C'est souvent dans ces moments parfois inaudibles que son équipe est la plus concentrée.

    Il faut savoir qui provoque les incidents lorsqu'il y en a, ce que les députés crient, et d'où ça vient.

    A défaut de retranscrire toutes ces interventions, un choix s'effectue. Subjectif, forcément. Nicolas Véron dresse une liste :

    Il faut prendre ce qui est typique, ce qui risque de créer un incident, ce qui est pittoresque. Cela permet d'éviter que la lecture ne soit trop fastidieuse.

    Et d'expliquer la sélection : "Quand 50 députés crient en même temps, on en prend un ou deux, les représentatifs ou les reconnus". Ceux qui parlent le plus fort ont donc potentiellement plus de chances de figurer au compte-rendu. Il coupe : "Ce sont souvent les mêmes qui crient. On finit par les connaître."

    En cherchant à reconnaître les députés à l’origine des prises de parole, les rédacteurs finissent par repérer les habitudes. Nicolas Véron a deux exemples en tête :

    Jacques Myard, sa voix de stentor, et ses positions connues ; ou Patrick Roy, député du nord décédé en 2011, qui avait pour spécialité de crier "et du chômage !"

    Mais l’entourage des députés intervient parfois directement sur la rédaction des comptes-rendus.

    Leurs assistants peuvent nous appeler pour signaler quelque chose.

    C'est dans ce but que la première version est d’abord uniquement publiée sur l'Intranet de l'Assemblée, auquel ne peuvent accéder que les députés, les collaborateurs, et les fonctionnaires de l'institution. "Mais même une fois qu'elle est en ligne sur Internet, ils disposent encore de deux ou trois jours pour nous contacter avant que cela parte au JO", assume Nicolas Véron.

    Ils nous demandent parfois de rectifier des choses importantes pour eux, dont, nous n'avons pas vu l'importance.

    Cela peut aussi arriver qu'un cabinet de ministre nous appelle en nous disant "on s'est trompés sur le nombre de millions d'euros de ci ou ça".

    On fait des changements tout le temps, sauf si ça fait l'objet de polémique.

    Ils effectuent d'ailleurs eux-mêmes les vérifications de chiffres ou de sigles. "Parce que c'est sans arrêt que les gens disent millions au lieu de milliards par exemple."

    Alors, modifier, oui, mais falsifier, non. Pour l'exemple, il cite une ancienne ministre du Budget qui était revenue sur une de ses positions. "Elle nous avait demandé de changer son "non" en "oui", dans le compte-rendu." Ce que le service a refusé. "C'était trop alambiqué pour modifier."

    (La signature du responsable du service figure en dessous de chaque compte-rendu de séance. Copie d'écran du compte-rendu du 27 juin 2012).

    Les députés, comme les ministres peuvent donc bien intervenir, mais le directeur du service, qui signe chaque texte et porte ainsi la responsabilité, reste souverain. Nicolas Véron rappelle :

    Avec les enregistrements, on a la preuve !

    L’exemple de Pierre Lellouche dont l’échange avec Christiane Taubira en plein débat sur le mariage homosexuel a fait polémique, vient tout naturellement. Impossible, à l'écoute de l'enregistrement, de dire si le député UMP a déclaré "j'en ai marre de votre tête", ou "j'en ai marre de votre texte." Alors, sur le compte-rendu, la fin de la phrase a tout simplement disparu. Il donne la conclusion :

    Sur des propos très délicats, ou quand c’est désobligeant, on ne met que quand on est complètement sûrs.

     Pour aller plus loin :

    >> Quand Christian Eckert s'emmêle les pinceaux, les coquilles disparaissent du compte-rendu, sur Le Lab

    >> Quand l'ancienne plume d'un sénateur raconte les conséquences d'un cafouillage, sur le blog de Bruno Fay, Lemonde.fr

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