INFO LAB - Le trésorier du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Christian Bataille, serait-il en train d'essayer de "détourner" une partie de l'enveloppe destinée à payer les collaborateurs parlementaires, au profit du groupe ? C'est ce qui inquiète un syndicat de ces derniers, qui écrit au trésorier, mais aussi au Déontologue de l'Assemblée et au président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour s'en émouvoir. Christian Bataille, de son côté, s'en défend catégoriquement.
Pour comprendre la suite, un petit point technique s'impose.
~ Interlude technique ~
L'objet de la contestation est le "crédit collaborateur", une somme allouée à chaque député par l'Assemblée et destinée à rémunérer les assistants de ces derniers. Si, à la fin de l'année, la totalité de cette somme n'a pas été dépensée par le parlementaire, celui-ci peut décider de reverser le "reliquat" à ses collaborateurs sous forme de prime, ou bien à son groupe pour participer un peu plus à son financement.
Autre élément : les cotisations des élus auprès de leur groupe, dont on parle beaucoup ces derniers jours du fait des retards de paiement de Vincent Peillon ou d'Arnaud Montebourg (qui dément), candidats à la primaire de la Belle Alliance Populaire. Chacun doit en effet s'acquitter d'une somme tous les mois (plusieurs centaines d'euros en fonction du nombre de mandats locaux exercés en parallèle). Le boulot du trésorier de groupe consiste en partie à faire la chasse aux mauvais payeurs en réclamant le versement des impayés.
~ Fin de l'interlude technique ~
La nouveauté ici est la suivante : Christian Bataille a récemment envoyé aux députés PS pas à jour de cotisations auprès du groupe un courrier, les "invitant" à "[se] servir" spécifiquement "de [leur] reliquat de crédit collaborateur" pour régler leurs dettes. Voici un exemplaire anonymisé de cette lettre :
# Détournement ?
Une proposition qui provoque l'indignation du Syndicat national des collaborateurs parlementaires (SNCPFO) qui, dans sa missive au trésorier du groupe datée du 14 décembre, écrit :
"Élu depuis six législatures, vous ne pouvez ignorer que le crédit collaborateur est un crédit attribué aux députés, 'affecté à la rémunération de leurs collaborateurs', comme le précise depuis le 28 novembre 2014, l’alinéa 2 de l’article 18 du Règlement de l’Assemblée nationale. Toute autre utilisation de cette enveloppe budgétaire constitue à l’évidence un détournement.
Nous pouvons admettre que le crédit collaborateur soit reversé en partie au groupe, si et seulement si il s’agit de montants explicitement et strictement fléchés vers la rémunération de collaborateurs travaillant directement et personnellement avec le député en question.
Tel n’est manifestement pas l’objet de votre courrier qui concerne une situation bien différente. En effet, le crédit collaborateur ne peut en aucun cas servir à financer les cotisations générales d’un député à son groupe politique.
"
Il s'agirait donc selon eux d'un usage détourné de cette manne financière, sachant que les députés peuvent régler leurs cotisations via leurs deniers personnels mais aussi leur indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). À noter que cette pratique est plutôt courante, mais le SNCPFO estime que la réforme du Règlement de l'Assemblée de 2014 l'interdit désormais.
# Ou pas détournement ?
Auprès du Lab, Christian Bataille conteste l'interprétation du syndicat de collaborateurs. "Il n'y a pas de détournement dans l'esprit", estime-t-il. Et de détailler son point de vue :
"Cela n'est pas contraire au Règlement de l'Assemblée et c'est absolument possible [de procéder ainsi] puisque le financement du groupe socialiste est consacré à 90% au paiement des salaires des collaborateurs du groupe.
"
Si des parlementaires venaient à répondre à son invitation et à payer de la sorte leurs cotisations, "le crédit collaborateur serait donc affecté au paiement des collaborateurs du groupe", conclut-il. Christian Bataille parle cependant des collaborateurs du groupe PS, et non de ceux employés individuellement par chaque député. Il glisse au passage un sérieux taquet au SNCPFO :
"Ce sont des assistants parisiens un peu agités qui font du bruit là-dessus. Je n'ai jamais eu de rendez-vous avec eux, ils ne m'ont jamais parlé. Ils sont plus ou moins dans le maquis, on ne les voit pas, on ne sait pas qui ils sont...
"
Les intéressés apprécieront.
Le Déontologue de l'Assemblée nationale, quant à lui, demande un peu de réflexion avant de se prononcer. Ferdinand Mélin-Soucramanien explique ainsi : "À première vue, je ne suis pas entièrement convaincu qu'il y ait un sujet entrant dans le champ de compétences du Déontologue de l'Assemblée." Sur le site de la chambre basse, le Déontologue est présenté comme un élément d'un "dispositif d’ensemble destiné à prévenir les conflits d’intérêts". Il est "chargé de recevoir les déclarations d’intérêts, de conseiller les députés sur toute situation délicate et d’alerter le Bureau en cas de manquement".
Une source au sein de la HATVP se montre elle aussi assez sceptique quant à la "compétence" de l'institution sur ce genre de dossiers. "Nous ne sommes pas chargés de contrôler l'utilisation des fonds accordés par l'Assemblée nationale aux députés", dit-on, rappelant que la HATVP travaille surtout sur les déclarations de patrimoine et d'intérêt des élus et ministres.