HOW IRONIC - Voilà donc François Hollande une nouvelle fois accusé de piétiner la démocratie et les droits fondamentaux des citoyens en République. Après les multiples recours au 49.3 (que lui-même en son temps qualifiait de "déni de démocratie") pour faire voter la loi Macron puis la loi Travail, voici venue une rarissime interdiction de manifestation syndicale sous la Ve République. Comme un seul homme, la gauche a dénoncé une "faute historique" dans cette atteinte à "la liberté de manifester". Et François Hollande pourrait bien avoir du mal à les contredire lui-même.
[EDIT 13h : finalement, le patron de la CGT Philippe Martinez a annoncé, lors d'une conférence de presse après avoir été reçu par Bernard Cazeneuve, que les organisations ont "obtenu le droit de manifester à Paris le 23 juin sur un parcours proposé par" le ministre de l'Intérieur. La manifestation n'est donc plus interdite.]
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Mercredi 22 juin, la préfecture de police de Paris a donc décidé d'interdire la manifestation anti-loi Travail prévue à Paris jeudi, avançant des raisons sécuritaires dans un contexte marqué par la menace terroriste et l'Euro de foot. Les syndicats qui appelaient à manifester avaient refusé la proposition d'un rassemblement "statique" en lieu et place d'un défilé. Dès le 15 juin, Manuel Valls et François Hollande avaient prévenu que les futures manifs pourraient être interdites "au cas par cas" si "les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garanties".
Dans l'immédiat, tout cela paraît donc cohérent. Il suffit pourtant de remonter à peine un petit peu plus loin dans le temps pour mettre l'exécutif face à ses propres contradictions, entre ses actes et ses déclarations d'intention. Le 17 mai sur Europe 1, le chef de l'État mettait l'accent sur les casseurs et les violences qui ont eu lieu, depuis des semaines, en marge des cortèges contre la loi El Khomri. Mais il ajoutait ce plaidoyer pour le droit de manifester, y compris compte tenu de l'enjeu sécuritaire et "avec l'état d'urgence" :
"La France est un pays de libertés. En France, on peut, même dans un contexte qui est particulièrement lourd, avec l’état d’urgence, avec les tragédies qui se sont produites l’année dernière, on peut manifester. On peut occuper des places. Ça fait partie de la liberté. Et moi je respecte ceux qui sont sincères et qui veulent faire entendre leur voix.
"
"Manifester c'est un droit, casser c'est un délit" et "il s'agit que les manifestants qui veulent manifester puissent le faire pacifiquement", résumait aussi le président de la République. Une position qu'il défend, pour le coup, depuis longtemps.
Ces derniers jours, et alors que se profilait cette interdiction de manifestation, un vieux tweet de François Hollande est en effet ressorti des archives des internets. Il s'agit d'une phrase extraite d'un discours du candidat Hollande, le 1er mars 2012. "Le seul droit que nous avons dans une République quand nous voulons changer, c'est le droit de manifester autant que c'est nécessaire", plaidait alors l'aspirant président de la République.
Le seul droit que nous avons, c'est le droit de manifester autant que nécessaire.. #Lyon#FH2012
— François Hollande (@fhollande) 1 mars 2012
Oh, l'ironie.
Le 15 juin, Stéphane Le Foll confirmait devant la presse que le chef de l'État était prêt à interdire certaines manifestations. Relayant les propos du boss, le porte-parole du gouvernement indiquait : "À un moment où la France accueille l’Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garanties". Mais il réaffirmait aussi ce qui suit :
"Nous sommes dans un État de droit et de liberté, liberté de manifestation, droit de grève, et le président de la République a rappelé qu’il avait toujours veillé à les respecter.
"
C'est bien ce "toujours" qui est aujourd'hui en question.
[BONUS TRACK] Say pas moi say Cazeneuve
Cité par l'AFP, l'entourage de François Hollande a cependant décliné toute responsabilité dans cette décision, indiqué que cette dernière était le fruit d'un "dialogue entre la Préfecture de police, l'Intérieur et les organisations organisatrices" et assuré que "l'arbitrage" sur cette interdiction n'avait "pas été rendu par le président lui-même". En gros : c'est la faute à Cazeneuve. Voici ce que l'Élysée a déclaré :
"On a dit qu'il fallait éviter qu'il y ait les mêmes difficultés que la semaine dernière et qu'il fallait trouver le bon équilibre entre préservation des libertés et respect de l'ordre public. C'est sur cette base qu'il y a eu un dialogue entre la Préfecture de police, l'Intérieur et les organisations organisatrices, et que la décision a été prise. C'est une décision de gestion opérationnelle de l'ordre public.L'arbitrage n'a pas été rendu par le président lui-même. Le président de la République n'est pas en charge de l'ordre public et de l'organisation des manifestations.
"
L'entourage du chef de l'État a fait valoir que l'interdiction relève "du droit". "C'est du droit. Il y a une appréciation entre le droit et les libertés. Il appartient aux autorités préfectorales de décider. Tout ça est soumis au juge administratif", a-t-on précisé.
[Edit 11h55]
À la suite du conseil des ministres, mercredi 22 juin, Stéphane Le Foll a expliqué que François Hollande avait de nouveau souligné "la liberté de manifester". Mais "la liberté de manifester a une contrepartie", a-t-il rappelé : "éviter les dégradations de biens et des personnes". "Ce sont ces deux principes qui dictent l'action du gouvernement et il n'y en a pas d'autres", a assuré le porte-parole du gouvernement, qui a également tenu à "préciser que demain, un certain nombre de manifestations sont organisées en province".
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