Les initiatives parlementaires anti-fraude se multiplient. "Démission d'office" pour les élus fraudeurs proposée par le patron des sénateurs UMP Bruno Retailleau, "certificat de régularité fiscale" à présenter pour les candidats aux législatives imaginé par François Hollande... la question de l'exemplarité des élus travaille nombre de parlementaires, marqués par les affaires Cahuzac, Thévenoud et autres.
Nouvel exemple avec une proposition de loi, déposée le 19 novembre par les députés UMP Dino Cinieri et Pierre Morel-A-L'Huissier (dont on vous parlait ici). Avec 27 autres cosignataires, ils proposent l'instauration d'une "peine complémentaire d'inéligibilité perpétuelle" pouvant être prononcée contre "tout élu condamné pour des faits de fraude fiscale ou de corruption".
Comme le rappelle leur texte, la peine d’inéligibilité est définie par l'article 131-26 du code pénal : celle-ci "ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit". Une inéligibilité de trois ans est également prévue par le code électoral, en cas notamment de fraudes ou manquement aux règles de financement des campagnes électorales.
Il s'agit donc aujourd'hui d'une peine temporaire qui peut être prononcée en supplément d'une peine de nature pénale. Dino Cinieri et Pierre Morel-A-L'Huissier proposent d'ajouter aux solutions à la disposition du juge une peine à vie, qu'il choisirait ou non de prononcer "au cas par cas".
Ils ne souhaitent donc pas rendre cette peine automatique. Car "l’automaticité de la peine serait en effet contraire à la Constitution", rappellent les auteurs eux-mêmes dans leur texte. Ils développent longuement ce point, jurisprudence à l'appui, expliquant qu'une telle automatisation se heurterait au principe de l'individualisation des peines. Façon aussi, pour eux, de se se prémunir à l'avance contre l'argument de l'anticonstitutionnalité de leur texte.
Ils émettent toutefois une autre réserve :
"Permettre l’inéligibilité à vie pourrait donc se révéler impossible constitutionnellement car il n’est pas prévu par la loi en France de payer toute sa vie pour des actes commis : le principe de la sanction pénale est qu’au bout d’un laps de temps donné,la personne condamnée 'paye sa dette à la société'.
"
Mais ce constat ne les empêche pas de formuler leur proposition, qui resterait applicable à une condition : "L’inéligibilité à vie est envisageable si elle n’est pas appliquée de manière automatique", écrivent-ils. Leur idée est donc la suivante :
"Les juges devraient, au cas par cas, avoir la possibilité d’aller plus loin [que les peines prévues aujourd'hui], jusqu’à prononcer une inéligibilité à vie pour les malversations les plus graves.
"
Ils proposent par ailleurs de changer les plafonds actuels pour l'inéligibilité : "Dix ans d’inéligibilité devrait être un minimum et non pas un maximum."
L'idée ne devrait pas manquer de susciter le débat. D'ores et déjà, le président (PS) de la Commission des lois à l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, estime auprès du Lab qu'il s'agit d'une "mesure d'affichage".
En avril 2013, François Hollande lui-même proposait l’inéligibilité pour les élus condamnés pénalement pour fraude fiscale ou corruption, comme l'écrivait Le Monde. Ces élus "seront interdits de tout mandat public", promettait alors le chef de l'État. Le Premier ministre d'alors, Jean-Marc Ayrault, avait quant à lui parlé d'"inéligibilité à vie" devant les députés socialistes.
[Edit 19h45 : ajout de la réaction de Jean-Jacques Urvoas]