JE REFAIS L'HISTOIRE - Les auditeurs de Radio Classique, lundi 21 novembre, ont eu droit à quelques jolies surprises. Ils ont ainsi appris que Christian Estrosi est selon lui-même toujours "à la tête" de la ville de Nice et non pas, comme on le pensait naïvement, le premier adjoint (certes bien présent dans le paysage). Ils ont encore découvert que Christian Estrosi est un peu Nicolas Sarkozy. Et qu'à ce titre, il peut tout à fait expliquer que Nicolas Sarkozy (le vrai, attention) a dit des choses que personne n'avait pourtant entendues.
Invité du journaliste Guillaume Durand, le premier adjoint à la mairie de Nice (chargé des Finances, de la Sécurité, des Travaux, des Transports, du Stationnement, de l’administration générale, de la réglementation des taxis, du suivi du projet sang neuf, de la réalisation de la ligne 2 du tramway, de la voirie et des professions libérales) parle de la soirée de la veille. Cette soirée qui a vu François Fillon terminer largement en tête du premier tour de la primaire de la droite, devant Alain Juppé et un Nicolas Sarkozy éliminé. Cette soirée qui a vu ce dernier se ranger derrière son ancien Premier ministre, appelant à voter pour lui au second tour.
Soudainement, Christian Estrosi se met à parler à la première personne à la place de Nicolas Sarkozy, expliquant ce que l'ancien chef de l'État a voulu dire en annonçant ce soutien. Le président de la région PACA déroule :
"C'est son choix, je le respecte. Au fond, qu'a-t-il dit ? Il a dit, en appelant à voter pour François Fillon : 'Il a été mon Premier ministre pendant cinq ans. Hier, on a placé en tête celui qui, pendant cinq ans, a mené la politique que je lui ai confié de mener [sic] pour la France. Donc c'est presque une reconnaissance pour moi-même parce qu'on a choisi la politique que j'ai menée pendant cinq ans entre 2007 et 2012. On a compris qu'entre moi et François Fillon, qui avons conduit ces réformes, qui avons fait face à des difficultés, qui n'avons pas tout réussi malgré tout...' [il est coupé].
"
L'ex-président aurait donc expliqué à ses troupes, aux électeurs de droite et aux Français que cette défaite était en réalité une victoire et que ce succès de François Fillon était la reconnaissance de la politique qu'il a menée durant son mandat. On se dit alors qu'il n'a pas été très fair-play...
Et puis on réécoute les propos de Nicolas Sarkozy, à son QG de campagne dimanche soir. Et on découvre, ô stupeur, que la teneur de son discours n'avait rien à voir avec ce que raconte Christian Estrosi.
Beau perdant, l'ancien chef de l'État a en effet clairement reconnu sa défaite. "Je ne suis pas parvenu à convaincre une majorité d'électeurs. Je respecte et je comprends la volonté de ces derniers de choisir pour l'avenir d'autres responsables politiques que moi", a-t-il déclaré. Puis, abordant le second tour à venir, il a développé :
"Je veux enfin féliciter François Fillon et Alain Juppé, qui sont qualifiés pour le second tour. Ce sont deux personnalités de grande qualité qui font honneur à la droite française. J'ai travaillé en confiance avec chacun d'eux. J'ai beaucoup d'estime pour Alain Juppé mais les choix politiques de François Fillon me sont plus proches. Les électeurs qui m'ont fait confiance sont naturellement libres de leur décision. Je leur demanderai cependant de ne jamais emprunter la voie des extrêmes. La France mérite tellement mieux que le choix du pire.
L'idée que je me fais de mon devoir est de dire avec franchise, avec clarté, avec loyauté, que quels que soient mes désaccords passés avec lui, François Fillon me paraît avoir le mieux compris les défis qui se présentent à la France. Je voterai donc pour lui au second tour de la primaire.
"
On cherche, on cherche, mais il faut bien se rendre à l'évidence : à aucun moment Nicolas Sarkozy n'a ne serait-ce que sous-entendu que la victoire de François Fillon était en réalité la sienne ou celle de sa politique. Il a bel et bien rappelé qu'il avait "travaillé en confiance" avec les deux qualifiés pour le second tour, mais la tonalité est très différente de ce qu'en a retenu Christian Estrosi.
Peut-être cette réécriture de l'histoire tient-elle aux opinions personnelles de ce dernier. Car l'ex-ministre n'adhère pas au choix de son champion de soutenir François Fillon pour le second tour. "J'ai un problème rédhibitoire, c'est l'impôt", a-t-il justifié, regrettant d'avoir désormais à départager "deux candidats qui proposent l'augmentation de la fiscalité". Et d'ajouter :
"Vous comprenez que c'est compliqué pour moi et qu'à partir de là, je me dis : 'Il y aura un vainqueur, je me rangerai derrière ce vainqueur'. Et j'ai plutôt pour intention, même si je n'ai pas définitivement arrêté ma décision, aujourd'hui de dire : 'Les électeurs sont libres, qu'ils fassent leur choix, je respecterai ce choix'. [...]
Mais je n'ai pas l'intention de m'engager derrière qui que ce soit pour l'heure.
"
Et pour ceux qui n'auraient pas tout suivi, ceci N'ÉTAIT PAS une déclaration de Nicolas Sarkozy.
[BONUS TRACK] Le collaboraqui ?
Ce n'est pas le seul élément historique que Christian Estrosi a tenté de réécrire, ce lundi. Il a aussi voulu faire croire que Nicolas Sarkozy n'avait jamais qualifié François Fillon de "collaborateur" lorsqu'il était son Premier ministre. Questionné à ce sujet, il a en effet vivement réagi :
"Non, non, non. Le 'collaborateur', c'était Jacques Chirac/Nicolas Sarkozy. Il y a eu une osmose parfaite [entre Sarkozy et Fillon, ndlr].
"
Ça alors. Pourtant, et n'en déplaise à Christian Estrosi, Nicolas Sarkozy avait bien déclaré, dans un entretien avec la presse régionale en août 2007 : "Le Premier ministre est un collaborateur. Le patron, c’est moi." L'ex-maire de Nice essaye ici de brouiller les pistes en rappelant un autre recadrage célèbre de l'histoire politique récente, ce cultissime "je décide, il exécute" de Jacques Chirac adressé à Nicolas Sarkozy. Une punchline que ce dernier a d'ailleurs revisitée ces derniers jours, au sujet de... François Fillon. "Lorsque j'étais président de la République, je décidais d'un certain nombre de réformes que François Fillon mettait en oeuvre loyalement, c'est ainsi", a flingué l'ancien chef de l'État à presque cinq ans d'intervalle, comme pour mieux rappeler qui était le "collaborateur" de qui.
Ah, sacré Christian Estrosi.