DANS LES CUISINES DE LA LOI - Ce lundi 17 juin démarre à l’Assemblée nationale l’examen du texte de loi sur la transparence de la vie publique, un projet dont l’élaboration et la mise au vote ont été accélérées par l’affaire Cahuzac.
Dès les aveux de son ancien ministre, François Hollande s’est mis en avant en communiquant lui-même, à deux reprises, sur le contenu de cette future loi, annonçant la transparence totale des déclarations de patrimoine de plus de 6.000 élus ou membres de cabinet ou encore l’interdiction de cumuler tout métier avec un mandat parlementaire.
C’était sans compter sur la grogne des députés qui, Claude Bartolone et Jean-Jacques Urvoas à la manoeuvre, ont tout fait pour modifier ces annonces initiales.
(Le président de l'Assemblée, Claude Bartolone, et le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas - montage via Maxppp)
Selon les confidences d'un ministre au Lab, François Hollande aurait alors hésité à outrepasser le Parlement en utilisant l'article 49-3 de la Constitution :
Le 49-3 a été dans la bouche de François Hollande. La tentation du 49-3 a existé. Mais il n'a pas osé. Le geste institutionnel est trop radical.
L'idée ne sera pas restée longtemps dans l'esprit du président qui, comme son ministre des Relations avec le Parlement Alain Vidalies, s'est finalement lancé dans d'âpres négociations avec les présidents de l’Assemblée et de la commission des lois, parfois au détour d'un simple stade.
Le passage en commission des lois a sonné la victoire des parlementaires, notamment sur le cas des déclarations de patrimoine qui ne seront pas publiées mais uniquement “consultables”, avec l’accord du gouvernement.
Mais François Hollande & co ne comptent pas dire “amen” à toutes les contre-propositions des députés. Le gouvernement revient à la charge ce lundi pour détricoter le texte issu de la commission. Entre députés et gouvernement, qui gagne ? Qui perd ? Voici les trois grands sujets encore en débat.
>> Bras de fer sur l’inéligibilité à vie
Impossible de trouver l’aval des parlementaires sur ce point. Alors que dans son projet de loi initial, le gouvernement proposait d’aller jusqu’à l’“inéligilibité définitive” pour tout élu commettant une “infraction portant atteinte à la moralité publique comme la corruption, le trafic d’influence, la fraude électorale ou la fraude fiscale”, les députés de la majorité ont rayé cette ligne du texte en commission. Pour eux, l’inéligibilité ne peut aller que jusqu’à dix ans maximum.
(Barbara Pompili et François de Rugy à l'Assemblée - Maxppp)
La coprésidente des Verts, Barbara Pompili s’en expliquait ainsi au Lab le 11 juin :
Nous sommes contre le principe des peines à vie en général. Cela veut dire que la dette n’est jamais payée, cela revient à un banissement. On estime qu’il ne faut pas réagir dans l’émotion[à l’affaire Cahuzac, ndlr].
Les peines lourdes sont suffisantes, avec un minimum de 5 ans et un maximum de 10 ans. Dix ans d’éclipse en politique, c’est très long.
(Alain Vidalies - Maxppp)
Les députés sont persuadés que l’inéligibilité à vie n’est pas constitutionnelle. “Ce n’est pas notre avis”, répond-t-on chez le ministre des Relations avec le Parlement, qui préfère parler d’inéligibilité “à durée indéterminée”. Alain Vidalies himself présentera un amendement pour casser la proposition des parlementaires.
Dans ce bras de fer, les députés socialistes (qui ont la majorité absolue) auront le dernier mot. On ne sait pas encore s’ils décideront de soutenir ou de contrer leur ministre.
>> Indemnités ministérielles : on coupe la poire en deux
Avec un Jérôme Cahuzac refusant de s’asseoir sur ses indemnités de ministre après sa démission, François Hollande a là-aussi voulu frapper fort: avec la nouvelle loi sur la transparence, les ministres démissionnaires ne pourraient plus toucher leur salaire que durant un mois.
Rappelons en effet que pour le moment, un ministre qui se retrouve “au chômage”, sans mandat de député ou sans activité professionnelle par exemple, continue de percevoir sa rémunération de membre de gouvernement six mois durant. Jérôme Cahuzac en est l’exemple même. Mais les velléités de François Hollande pour y mettre fin ont rapidement été stoppées par les parlementaires.
En commission, les élus ont purement et simplement supprimé cette modification du texte, rétablissant le seuil des six mois. Mauvais signal pour le gouvernement qui aurait aimé faire de cette restriction un symbole.
Là-aussi, Alain Vidalies va revenir à la charge en séance via un amendement. La proposition d’origine va cependant être largement édulcorée puisqu’un compromis a été trouvé en amont avec les parlementaires de la majorité : ce ne sera ni six mois, ni un mois … mais trois mois d’indemnités pour les ministres démissionnaires.
(René Dosière - Maxppp)
Annoncé par le député PS René Dosière le 11 juin, ce compromis a été confirmé au Lab côté gouvernement. Une façon de couper la poire en deux pour s’assurer le vote de sa majorité.
>> Cumul mandat / profession : l’interdiction a minima
C’est bien sur ce point que les députés ont gagné le plus de terrain. Le 10 avril, lors de l’annonce des grandes pistes de sa loi sur la transparence, François Hollande promet d’allonger la liste des incompatibilités parlementaires : certains métiers engendrent des lourds soupçons de conflits d’intérêts, argue-t-il alors.
Dans un joli cafouillage que Le Lab vous racontait ici, Jean-Marc Ayrault et la porte-parole du gouvernement parlent même d’une “interdiction de toute activité professionnelle, sauf exception” pour les parlementaires.
(François Hollande - Maxppp)
Au final, aucune de ces deux options ne sera conservée. Après le travail de persuasion de Claude Bartolone et Jean-Jacques Urvoas, le projet de loi propose de se focaliser sur les activités de conseil. Chez Alain Vidalies, on explique sans rougir ce pas en arrière :
On ne pouvait pas empêcher de continuer l’activité professionnelle, ne serait-ce que pour préserver l’outil de travail dans certains métiers. (...) La fonction de conseil est celle qui est potentiellement la plus proche du conflit d’intérêts.
Mais les parlementaires ne se contentent pas de ce renoncement gouvernemental. La rédaction du projet de loi ne leur convient pas :
Art L-146-1 : L’exercice de fonction de conseil est incompatible avec le mandat de député.
Ils arguent que la profession de conseil est “stigmatisée”, brandissent le risque d’inconstitutionnalité et proposent des solutions alternatives, au final tout aussi inconstitutionnelles. C’est sur une situation en suspens que la commission prend fin.
Ce lundi, les députés de la majorité reviennent avec de nouveaux amendements, pensés avec le gouvernement. Ou comment montrer qu’il n’y a là ni vainqueur, ni perdant, mais une “construction commune”, pour reprendre les termes de Najat Vallaud-Belkacem.
Résultat de ce brain storming, le cumul mandat/profession reste possible pour ceux qui l’exerçaient avant leur élection. En revanche, les parlementaires auront interdiction de commencer toute nouvelle activité au cours de leur mandat, la fonction de conseil comme celle de vétérinaire.
Quant à l’activité de conseil, que voulait interdire totalement le gouvernement, elle sera finalement autorisée pendant le mandat pour les “activités réglémentées” que sont les avocats ou les experts-comptables. Interdite pour les autres, à l’image des médecins qui voudraient conseiller des laboratoires pharmaceutiques.
Enfin, les avocats verront leur activité plus encadrée, les dossiers en rapport avec l’Etat leur étant interdits.
On est bien loin de ce 10 avril où François Hollande annonçait que les parlementaires ne seraient plus que parlementaires. Mais par cette série de compromis, le gouvernement s’assure le vote de sa majorité.