Delphine Batho publie ses échanges de textos et de coups de téléphone avec Hollande et Ayrault le jour de son limogeage

Publié à 16h38, le 14 octobre 2014 , Modifié à 16h44, le 17 octobre 2014

Delphine Batho publie ses échanges de textos et de coups de téléphone avec Hollande et Ayrault le jour de son limogeage
Delphine Batho raconte ses échanges de SMS et de coups de téléphone avec Hollande et Ayrault le jour de son limogeage © MaxPPP/Reuters - Montage Le Lab

FADETTES - Il n'avait fallu que quelques heures pour que son limogeage soit acté. Delphine Batho, ministre de l'Écologie de juin 2012 à juillet 2013, avait été brutalement démissionnée par François Hollande après avoir critiqué la baisse de 7% du budget de son ministère. Dans son livre Insoumise (Grasset, en librairies mercredi 15 octobre), elle se veut "en rupture tranquille" par rapport à François Hollande qu'elle ne soutiendra pas s'il se représente à la présidentielle en 2017.

Et elle publie l'intégralité de l'échange de SMS et de coups de téléphones qu'elle a eus avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et le président de la République, le jour de son départ du gouvernement. Un récit minute par minute dans les coulisses d'une démission forcée.

Tout commence à 9h18, soit à peine une heure et demi après ses propos contre le budget sur RTL. "Depuis que je suis ministre, c'est la première fois que le Premier ministre m'envoie un SMS", écrit Delphine Batho, qui raconte ce que lui écrit Jean-Marc Ayrault :

Tes déclarations sont inadmissibles sur ton budget, je te demande de rectifier.

Si elle "s'attendait" à ce que ses déclarations "suscitent une réaction", elle maintient qu'il s'agissait d'une réflexion de fond sur "un symbole inacceptable à [ses] yeux". Elle répond au Premier ministre à 9h45, lui proposant d'en "discuter" :

- Delphine Batho : Cher Jean-Marc, ce n'est pas une déclaration d'humeur, discutons-en. Bien à toi.



- Jean-Marc Ayrault : Trop tard le mal est fait.

Dans la foulée, elle arrive à Matignon pour une réunion sur la fiscalité écologique. "Ni à mon arrivée, ni en quittant Matignon, je n'ai de réel échange avec le Premier ministre sur le sens de son SMS, écrit Delphine Batho. Je pense alors qu'il temporise, qu'on en reparlera plus tard. Erreur !"

À 11h06, Jean-Marc Ayrault revient à la charge, via deux textos à quelques secondes d'écart. Delphine Batho en livre la retranscription  :

Je te demande un communiqué officiel de rectification avant la fin de matinée.



J'ai informé le PR (président de la République) de ce problème politique.

François Hollande entre en scène "quelques minutes" plus tard, poursuit celle qui est alors toujours ministre. Toujours par SMS : "Tu dois répondre à la demande du Premier ministre, je ne comprends pas ce que tu as fait ce matin. Je t'ai écoutée". Ce à quoi elle répond, à 13h13, qu'elle en "discute" justement avec Jean-Marc Ayrault. Voici son échange avec le prédécesseur de Manuel Valls, tel qu'elle le relate dans son livre :

- Delphine Batho : C'est par nos décisions que l'on résoudra ce problème politique.



- Jean-Marc Ayrault : Alors tu choisis soit un communiqué ou tu pars.



- Delphine Batho, "sonnée" et dont les "mains tremblent nerveusement" : Je suis disponible à n'importe quel moment pour en discuter de vive voix.

Le Premier ministre décide alors de l'appeler. Delphine Batho est "effondrée", "accuse le coup" mais "essaye de ne pas le montrer". "Je lui dis que je ne démentirai pas mes propos, que je ne partirai pas, qu'il y a un problème sur la place de l'écologie et de la transition énergétique dans les décisions de notre gouvernement, écrit-elle aujourd'hui. [...] Que je voudrais le voir pour en parler directement. Il ne veut rien entendre. La confrontation est dure." Elle raconte la réponse du locataire de Matignon : "J'ai compris, dit-il sévèrement pour clore la conversation, avant de raccrocher aussi sec." "Il veut ma tête", comprend à ce moment-là Delphine Batho.

Cette dernière arrive à l'Assemblée nationale à 15 heures, pour défendre un projet de loi. Elle y lit son intervention "machinalement, l'esprit ailleurs". S'étant rassise à sa place, son équipe lui fait porter un mot : François Hollande veut lui parler "sur-le-champ au téléphone". La ministre doit demander une suspension de séance, comme l'avait raconté Le Lab, vidéo à l'appui. Voici la conversation qu'elle raconte avoir eu avec le chef de l'État :

- François Hollande, "voix douce mais ton ferme" : Tu aurais dû me le dire qu'il y avait un problème sur le budget de l'écologie. On ne peut pas mettre en cause les arbitrages budgétaires. 



- Delphine Batho : C'est seulement samedi que j'ai appris que le ministère de l'Écologie était le plus saqué dans les coupes budgétaires. Aucun ministre de l'Écologie n'accepterait cela sans réagir.



- François Hollande : S'il y a un problème, c'est à moi qu'il fallait en parler. C'est moi qui ai été élu le 6 mai.



- Delphine Batho : Je le sais, j'étais ta porte-parole ! J'ai scrupuleusement respecté le fonctionnement gouvernemental. Matignon a été alerté dimanche par mon directeur de cabinet, nous n'avons eu aucune réponse. Dès lundi après-midi [la veille de son interview à RTL, ndlr], j'ai dit exactement la même chose qu'à RTL dans le journal Le Monde, cela figure même dans le sous-titre de l'article, je n'ai pas reçu le moindre coup de fil de réaction. [...] Même si tu considères que j'ai fait une erreur, cela ne justifie pas la tournure que les événements sont en train de prendre, tout cela est disproportionné.



- François Hollande : Tu vas aller voir le Premier ministre. Tu vas te mettre d'accord avec lui. Il faut que vous trouviez un terrain d'entente. Si vous ne vous mettez pas d'accord, tu sais ce qui se passera. Tu redeviendras députée. Bon, tu seras une députée parmi d'autres... Tu sais, il y en a beaucoup qui sont prêts à prendre ta place au gouvernement. Y compris parmi ceux qui disent te soutenir. [...] Dès que ton texte est voté, tu vas voir le Premier ministre.

Delphine Batho veut toujours croire à une sortie de crise honorable : "C'est déjà un geste tangible que le Premier ministre soit obligée de me recevoir à la demande du président de la République. J'imagine qu'ensuite [il] pourra dire qu'il m'a tancée sévèrement, puis les choses rentreront dans l'ordre." Elle est reçue par Jean-Marc Ayrault à 16h30. L'ancien maire de Nantes impose une certaine distance, assure-t-elle : "Il s'installe derrière son gros bureau, et moi en face." Et l'échange n'est pas des plus cordiaux, à en croire la version de l'ancienne ministre :

- Jean-Marc Ayrault : La confiance est rompue. Tu as remis en cause mes arbitrages budgétaires.



- Delphine Batho : Je n'ai pas eu d'autre choix que de mettre le problème sur la place publique, ton équipe était prévenue. C'est un symbole désastreux que le ministère de l'Écologie soit celui qui affiche la plus forte baisse des crédits.



- Jean-Marc Ayrault : Mais ce n'est pas vrai, tu ne peux pas dire ça, parce qu'il va y avoir les recettes de l'écotaxe qui vont alimenter ton budget. Et si tu penses que tu n'as pas les moyens de mener ta politique, eh bien, alors tu en tires les conséquences. [...] Il n'y a rien à négocier, rien à obtenir. La confiance est rompue.



- Delphine Batho : [...] Je veux rester au gouvernement. 



- Jean-Marc Ayrault : [...] À RTL, il y a des millions de gens qui écoutent. Ah ça, il doit être content Jean-Michel Aphatie ! Tu te rends compte... Tu as dit qu'il y a des doutes, des déceptions à l'égard de notre politique. [...] Qu'est-ce que tu crois, les temps sont durs ! Tu mets en cause la politique gouvernementale, c'est ça le plus grave.



- Delphine Batho : J'ai dit la vérité ! Mais tu n'entends pas ce que disent les Français ? [...] Il faut voir la réalité en face !



- Jean-Marc Ayrault : Tu mets en cause notre action, la confiance est rompue. [...] Tu sais ce qu'il va se passer maintenant, on s'est tout dit.

De retour à son ministère, Delphine Batho reçoit un autre texto, de la part de Manuel Valls cette fois-ci. Elle lui apprend qu'elle est virée. "Merde, c'est n'importe quoi, je suis désolé", lui répond le futur remplaçant de Jean-marc Ayrault.

François Hollande l'informe à son tour, toujours par téléphone, de l'officialisation de son limogeage par communiqué. Celui-ci "tombe à l'AFP" à 18h08, écrit la désormais ex-ministre. Soit moins de 10 heures après son interview à RTL et sans avoir vu le président de la République en face-à-face.

Une partie de ces échanges a déjà été racontée par la journaliste Cécile Amar dans "Jusqu'ici tout va mal" aux éditions Grasset. C'est en revanche la première fois que l'ex-ministre en fait état ainsi.

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